Radhouane El Meddeb créera Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire avec des artistes tunisiens venant de différents horizons artistiques (danse, théâtre et musique…) qui évoluent dans un pays qui a fait sa révolution et qui continue à se battre pour aller jusqu’au bout du changement…
La Tunisie est en mutation, des formes nouvelles se sont imposées aux artistes, des envies multiples et une grande euphorie surgissent. Radhouane se confrontera à cette nouvelle réalité, à un nouveau pays, à des artistes libres, aujourd’hui engagés politiquement et impliqués dans cette construction. Cette pièce, une première, tissera un lien entre l’histoire personnelle de Radhouane et celle des artistes vivant aujourd’hui en Tunisie.
« J’ai quitté mon pays, La Tunisie, en 1996, pour m’installer en France, et vivre de ma passion, le théâtre, échapper ainsi à toutes formes d’autorités, me libérer. Les années s’écoulent, avec cette douleur du partir qui persiste, même si très vite, je me suis rendu compte que ma place était tout à fait ici, en France, ce grand beau pays, envoûtant et complexe.
Je me suis perdu dans mon travail, acharné à apprendre toujours et encore, à me dépasser et à profiter de chaque instant ici, seul, loin des autres. La liberté devient alors une raison d’être, mon combat ici, alors que persiste cette boule au ventre, cette chose qui fait mal et qui grandit.
Ils sont loin ceux que j’aime, ceux qui m’ont aidé à grandir, ceux de mon pays !
En 2008, 10 ans après mon arrivée en France, j’obtiens ma naturalisation. Je n’ai plus de limites, je prends des risques, tout est possible, plus de frontières. Alors très naturellement et parce que l’envie est viscérale je décide de mettre mon corps dans la bataille… Je danse. Mon corps se libère enfin, j’assume et transcende en mouvement mon bouleversant désir d’être.
Une autre partie de moi m’échappe, ce pays qui est aussi le mien ne m’appartient plus. Beaucoup de changements, de bouleversements, de transformations et de revirements : je les ai attendus, espérés, rêvés, mais je les appréhende, aussi ! Aujourd’hui, je veux cesser de regarder cette Tunisie de loin, je veux trouver un langage pour m’en approcher, par mes propres codes, et avec celui que je suis devenu.
Je décide aujourd’hui de « rentrer », avec mon nouveau langage, avec mon nouvel être, dans ce pays qui change, que je connais si mal. Comme une réconciliation, ce voyage est douceur, mais il est aussi un moyen de se dépasser et de pousser les limites, encore une fois, comme on passe des frontières, comme on joue avec les identités. C’est aussi une consolation, ce geste troublant de se prendre dans les bras, de se laisser remuer par les autres qui consolent.
Un ange passe… Et prend avec lui mon cher papa, sans prévenir…
Et moi toujours loin, je rentre l’enterrer.
La douleur du partir n’est plus la même…
Je suis comme anéanti, c’est un immense changement qui bouleverse tout dans ma vie….
Et la révolution fut… J’ai comme l’impression d’être passé à côté….
J’ai certainement tremblé, j’ai beaucoup pleuré.
J’ai eu peur pour mon pays, ma famille et tous mes amis.
Mais je n’y étais pas.Je reviens à ma Tunisie pour y entamer une nouvelle histoire, faite de ce que j’y découvrirai et que je ne sais pas encore.
Comme il y a quelques hivers, en arrivant dans la nef du Cent-quatre (pour la pièce Heroes, prélude), je vais regarder, explorer, ressentir, écouter ce qui se dit et travailler cette matière neuve, « ma Tunisie ». Alors que dans l’espace parisien, je voyais ces jeunes gens s’acharner à reproduire des danses, à se dépasser, je vais lire à présent d’autres corps et d’autres voix.
Après avoir dansé les rues de Tunis et la révolution, après avoir exploré le corps libre des Arabes, je veux aujourd’hui creuser chez moi et creuser au fond de moi, trouver des danseurs et interprètes et leur proposer de se dire, les mettre en voix, me libérer avec eux, leur proposer de partir avec moi à la recherche d’une nouvelle expérience.
Je vais me mettre face à la mer, là où les larmes deviennent des éclats de rire, je vais entrer dans les profondeurs du pays, là où je ne me suis jamais aventuré. Je veux partir à la rencontre, me fondre, connaître et rencontrer les êtres qui ont fait l’histoire, ceux qui vibrent au rythme de la Tunisie d’aujourd’hui, dont je me sens à la fois si loin et si proche. Cela me fait penser, à Wim Wenders qui filme Berlin après la réunification, une ville qu’il a quitté depuis longtemps, et réalise Les ailes du désir.
Je vais tenter de saisir à nouveau ce qui m’entoure et chercher une manière d’agir, de prendre ma place, aujourd’hui que je suis français, alors que je suis toujours tunisien.
Peut-on éclairer, nous artistes, de notre lucidité, de notre art, les chemins sombres du futur ?
Je veux aller à la rencontre de ce pays comme un soldat de la beauté, de l’art, comme un gardien de la beauté du monde réel, comme des magiciens de l’amour. En franchissant les lignes du corps, de la pensée et de l’émotion…J’imagine comme point de départ de cette recherche des monologues violents, des moments d’appréhension commune de la tourmente actuelle. Une dramaturgie électrique pour dire ce que nous sommes et ce qu’est notre vie, dans une nouvelle forme, avec la langue, les langues, celle de mon enfance, celle que j’aime et celle que j’ai choisie. Avec les corps en mouvements qui sont ceux qui prennent réellement la parole, dans une démarche, dans un fragment, dans une manière de prendre à bras le corps mes deux pays. »
Radhouane El Meddeb