Presse

AMOUR-S
Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le…

Dernières Nouvelles d’Alsace

09 février 2021

Après son Lac des cygnes pour le Ballet du Rhin, le chorégraphe Radhouane El Meddeb revient à Strasbourg en résidence à Pôle Sud, pour Amour-s lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… Une ode à la sensation, au désir, revigorante après un an de pandémie.
La pandémie a autant affecté notre santé que notre intimité, nos émotions, notre rapport physique à l’autre. Qu’est devenu l’amour ? De masque en distanciation physique, le toucher, le contact, « les fameuses bises » que beaucoup d’étrangers nous envient, ont disparu.
La sacralisé de l’amour s’affirme avec éclat.

Créant ainsi une nostalgie d’une gestuelle corporelle liée à la convivialité. Comment entrer désormais intimement en relation alors que le virtuel nous submerge ? Autant de questions qui débordent de la nouvelle création du chorégraphe Radhouane El Meddeb (Compagnie de Soi), Amour-s, lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… Pour ce familier de Pôle-Sud, Centre de développement chorégraphique national de Strasbourg, la danse et l’amour sont ses deux passions, ses forces motrices, son horizon. « L’amour, c’est l’éternité », s’exclame-t-il.
L’artiste tunisien n’en finit pas de se raconter par le mouvement, de se relier aux autres.

Oeuvre empreinte d’une auto-fiction dont la portée universelle s’exprime à travers une gestuelle singulière aux mouvements circulaires, elle s’ourle d’une délicatesse maniériste jusqu’au bout des mains, d’une sensualité et d’une intériorité puissantes. Orientée aussi par l’adresse aux autres, car tout est ici une affaire de regards. Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… est un fragment du Prophète de Khalil Gibran. Inspiré par le poète libanais, le chorégraphe s’est mis en quête des traces, des étreintes, de l’amour, de la joie, de l’extase, de la bonté, du désir inscrits dans le corps de quatre formidables interprètes – le pianiste Nicolas Worms, les jeunes danseurs William Delahaye et Chloé Zamboni et le complice, Philippe Lebhar.
Porté par la musique originale de Nicolas Worms journée live, chaque interprète se meut. Seul, il témoigne de transports amoureux qui l’emportent, le soulèvent en des saccades, des suspensions de break dance pour William Delahaye, issu des danses urbaines.

« Rien n’est plus défatigant qu’une joie »
De sa solitude, se déploient une solennité envoûtante et une sincérité qui relève d’une mise à nu. Chloé Zamboni, c’est le feu, la passion, la violence aussi. Le corps cambré, la tête renversée, rien ne s’apaise ; un jaillissement perpétuel, un souffle ample et enfin le corps allongé au sol, s’abandonne. Quand le musicien quitte le plateau, c’est Philippe Lebhar qui arrive en tournant sur lui-même. Derviche au torse nu, en transe au sourire éclatant. La joie exsude de son corps, la sacralisé de l’amour s’affirme avec éclat, sans fard. C’est beau, langoureux, cette énergie qui puise à la pulsion de vie qui rejaillit en pleine pandémie. « Rien n’est plus défatigant qu’une joie, Rien de plus fatigant qu’une angoisse », comme l’affirme Eric Fiat, philosophe de l’intériorité. Créé en 2019, dans le cadre du festival des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Amour-s lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… va évoluer et investir le musée Picasso à Paris, à l’enseigne de l’exposition mettant en regard le peintre et le sculpteur Rodin. Les dates sont à confirmer.
« Ce contexte nous oblige à revoir les lieux de représentation pour investir l’espace public ou des salles plus grandes dédiées par exemple aux activités sportives, préconise Radhouane El Meddeb. Les artistes sont aussi essentiels que la musique, les fleurs, nous apportons de l’enchantement et du rêve aux gens »

Veneranda PALADINO

lafleurdudimanche.blogspot.com

03 février 2021

AMOUR-S de Radhouane El Meddeb: après le Lac, l’Amour fait signe… à Pôle Sud

Radhouane El Meddeb aime à se frotter aux « monuments ». Après « son » Lac des cygnes » où il se référait à Rudolf Noureev (voir mon billet du 10 janvier 2019 Le lac des cygnes de Radhouane El Meddeb déborde d’émotion), le voici s’inspirant d’un des plus célèbres poètes arabes modernes Khalil Gibran et de son magnifique poème « L’Amour« *. Ce poème, dans son livre « Le Prophète« , dont Radhouane El Meddeb a mis en sous-titre le premier vers: « Lorsque l’amour vous fait signe suivez-le,… » peint l’amour, pas forcément innocent, ni tendre, ni doux, (Bien que ses chemins soient escarpés et sinueux. / Et quand ses ailes vous étreignent, épanchez-vous en lui, / En dépit de l’épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.). Et surtout montre qu’il faut « s’engager » avec l’Amour (Mais si dans votre crainte vous ne recherchiez que la paix et le plaisir de l’amour, / Alors il serait préférable pour vous de couvrir votre nudité, de quitter l’aire de battage de l’amour,..).
Mais les voies de l’Amour sont diverses, et vous l’aurez peut-être remarqué, un « S » lui est rajouté dans le titre pour faire pluriel, comme sont plurielles les trois interprétations des danseurs et de la danseuse qui se succèdent sur le plateau, plateau qu’occupe d’ailleurs dès l’entrée en salle le pianiste, compositeur et improvisateur Nicolas Worms, présent jusqu’à toute presque la fin du spectacle. Son jeu, fluide et aérien, sa présence sonore, toute en retenue, en douceur, son doigté de velours nous emmènent dans ce merveilleux voyage de l’amour où, pour commencer, William Delahaye s’installe dans ce nid sonore, embrasse l’espace et se laisse envahir par le flux, les pulsions de la passion.
Ses mains serpentent, accueillent, enserrent, enveloppent, caressent, s’élèvent, font des friselis, s’envolent en ailes délicates, tandis que les pieds, le corps fonctionnent au ralenti, en gestes saccadés  et en hoquettements. La sensation est intériorisée et une prière muette est jetée au ciel. L’union avec la musique délicate et ruisselante, délicatement ouvragée comme une dentelle nous élève vers un absolu qui nous inclut. Un salut symbolique et l’on tourne la page.
Chloé Zamboni, haut de soie chair transparent et pantalon noir vient en miroir faire sa prière à l’amour à son tour, plus véhémente, des gestes plus énergiques, plus charnelle, elle joue à sa manière les transports de l’amour le plaisir et la souffrance, la joie et l’extase. Un geste vers la pianiste, sur lequel elle se penche tendrement et la revoilà partie convulsivement, elle aussi je jette en arrière, renversée, possédée et se retrouve même à terre tout en lançant une quête au ciel.
Le troisième danseur dans cette déclinaison multifacette de (ou cet hommage à) l’Amour, Philippe Lebhar va présenter une version plus mystique de cette passion en nous proposant une interprétation enjouée et virevoltante de l’élévation extatique dans une performance incroyable de derviche tourneur. Une prestation impressionnante.

Avec Amour-s, Radhouane El Meddeb a totalement réussi à nous faire ressentir, carrément « incorporer » via ces trois danseurs, les ressentis intimes et les bouleversements que l’amour, cette passion qui peut passer d’une extrème tendresse et une grande délicatesse à une énorme souffrance. Il nous emmène avec ses trois interprètes et le magnifique pianiste Nicolas Worms dans un voyage passionnant, et nous le suivons avec plaisir.

Remarque en marge: Nous aurions aimé partager ce spectacle avec un vrai public, plein de spectateurs autour de nous, dans cette salle de Pôle Sud qui a offert il y a deux ans un « accueil studio » au chorégraphe pour lui permettre de créer cette pièce. Les conditions actuelles ont empêché de garder les représentations publiques prévues ce 3 et 4 février.

Nous étions quelquefois un peu « décalé », dans un étonnement un peu bizarre, à la limite de l’inquiétude quand, reprenant conscience que nous étions, spectateurs un peu isolés, dans une salle vide, mais quand même dans une relation totalement physique avec la scène – rien à voir avec une diffusion « live » telle que nous sommes obligés pour le moment à « subir » le spectacle vivant « en boite ».

Robert Becker

La Fleur du Dimanche

genevieve-charras.blogspot.fr

03 février 2021

COPRODUCTION POLE-SUD
FRANCE / 3 DANSEURS + 1 MUSICIEN / 60’

« L’hommage est l’un des motifs récurrents des créations de Radhouane El Meddeb. Après celui rendu au ballet classique dans sa version du Lac des cygnes, c’est à la poésie de Khalil Gibran que le chorégraphe se réfère, le temps d’un délicat trio aux gestes ciselés par un sentiment, l’amour. 
«  Alors Almitra dit, Parle-nous de l’Amour. Et il leva la tête et regarda le peuple assemblé, et le calme s’étendit sur eux. Et d’une voix forte il dit : Quand l’amour vous fait signe, suivez-le. » C’est ainsi que débute l’un des célèbres poèmes de Khalil Gibran. En écho à l’écriture mystique de cet artiste libanais des débuts du 20è siècle, ayant passé la majeure partie de sa vie aux Etats-Unis, Radhouane El Meddeb a créé AMOUR-S lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… Une pièce qui ouvre l’espace à la présence et à l’écoute. Sur scène, une femme et deux hommes. Tour à tour, les trois interprètes entrent en dialogue avec les compositions pour piano de Nicolas Worms que le musicien interprète lui-même au plateau. L’écriture du chorégraphe semble s’adapter à chacun d’entre eux. Parfois toute en lenteur, elle fait s’incliner le corps vers l’avant, ou le courbe en arc, visage levé vers le ciel. Parfois vive, elle se heurte au cycle du temps avec des gestes jaillissants ou encore happe un autre corps dans la spirale infinie des tours. Ménageant des vides et des silences, elle semble osciller en fonction du souffle ou des présences, tissant peu à peu le sens d’une démarche aussi fine que profonde de ce que peut représenter pour l’être, la dimension de l’interprétation. »
 
Suivez….le guide,sur la carte du tendre…..
C’est sur fond noir, sol blanc que résonnent les premières notes du piano: sur touches noires, sur touches blanches, la mélodie prend forme sous les doigts du pianiste, seul sur le plateau: premier duo d’amour entre l’interprète et l’instrument pour faire résonner une musique originale, taillée sur mesure, haute couture entre espace et temps. On s’y laisse bercer jusqu’à l’apparition d’un jeune homme, de plissé gris anthracite vêtu. Seul et avec l’espace: celui de son propre corps qu’il ausculte savamment de petits précipités vifs, interrompus, comme « empêchés » d’aller plus loin, moins vite..Implorations, de profil, tantôt ciselées, hachées, tantôt langoureuses. Savoureuse lenteur comme en lutte contre des souffles inconnus. Tendus, invisibles mais prégnants, solides.Le danseur égraine le temps, se fait sablier et tourne autour du piano, sculpture en ronde bosse qu’il magnifie.Les gestes comme des ondoiements de cous de cygnes, en offrande, levés à l’offertoire de cette petite et curieuse cérémonie de l’Amour…Recueilli,en posture de révérence puis ouvert au monde pour mieux le prendre, le saisir, l’envelopper..S’en emparer. L’étreindre, s’éteindre, seul, jusqu’à la terre, jusqu’au sol. En autant de légers soubresauts tétaniques, il sculpte l’espace, le rend visible, charnel, les yeux clos, désaxé, déhanché. La spirale volubile s’empare de son corps, se propage dans chaque geste, en une jouissance, une sensualité: celle de celui qui se frôle, se touche, s’étire, aspiré par des énergies venues de toutes parts, lui donner vie et amour.Murmures indicibles du bouts des doigts, des lèvres, labiles.Un légato musical au plus proche de celui du piano, partenaire, écho et résonances des gestes qui s’enchainent ou se déchainent. Du « coupé, du staccato fébrile et inspiré, pizzicati altiers dans une aptitude au relâché, au laisser prise, rembobinant les gestes. La danse de William Delahaye coule de source, en torsions, en en-dehors et en-dedans à l’envi.La musique, mélancolique, profonde, incessante, berce comme dans un rêve, sur une île utopique. Il disparait laissant derrière lui des sensations de forte présence dissolue dans un long mystère.
Amour, je trace ton nom
 .
Une femme se glisse sur le plateau, chemisier transparent, longue jupe seyante.La tête affolée sur des épaules chavirantes, la voici parcourue de mouvements vifs, rapides, comme prise d’assaut par un esprit malin.Possédée, ravie par des forces extérieures , chercheuse, désirante, haletante, essoufflée…Les sons sourdent de son corps animé, mouvant, perturbé par des courants étranges…Elle résiste ou se déploie, parfois aspirée, aimantée, le tout en de longs déploiements lascifs, attirants.Des sensations se transmettent: l’attente ou le désir, la tentation tourmentée ou assumée…Déraison et folie de ses gestes tracés sur un petit espace, sur place.Une pause vers le pianiste complice, relation de fusion futile et éphémère entre les deux êtres de chair, de danse et de rythme.Très charnelle, l’interprétation de Chloé Zamboni s’inscrit dans une démarche poétique, vivante, proche du « cantique des cantiques ».Le corps ému par de petits phrasés courts, en interjections, en syntaxe silencieuse, magnétique.Dans le silence retrouvé, elle s’incline au sol, offre son dos et s’évapore….
L’ivresse ou la part des anges.
Laissant place à un autre et troisième « personnage », torse nu qui se love dans des tourbillons circulaires, virtuose de l’équilibre et de l’axe mouvant! Emotion de l’ivresse, du vertige, du déplacement hypnotique d’un astre dans le cosmos.
Exalté, ravi, ivre de bonheur, de joie ce « derviche » des passions amoureuses qui transportent, se fait pivot, balise des affolements des sensations amoureuses. En émoi tournoyant incessant, le voilà affichant perte et errance dans le monde de la possession : un peu « pasolinien », charmeur, diabolique, séducteur… Dans un manège permanent, le corps jeté dans le rythme, vers l’épuisement, dans la dépense, l’extase, au zénith d’un nirvana fertile en émotions et flux sensuel.Philippe Lebhar envoutant ! Comme un élixir d’amour qui se distille, tel une clepsydre , goutte à goutte  .
La chorégraphie de Radhouane El Meddeb, tracée comme une calligraphie du désir, épousant les compositions subtiles de Nicolas Worms, au plus près des corps des interprètes, soulignant grâce, félicité et dévotion avec panache. Un « ravissement » à la Marguerite Duras, elle aussi possédée par l’Amant, l’Amour….
A Pole Sud le mercredi 3 Février 2021
Dans un contexte où se retrouver, danseurs et public restreint, fut un bonheur, remue-ménage de sensations retrouvées, transformées: le partage de l’instant fébrile du temps de la danse incarnée.

Merci à tous d’avoir oser la scène, tant désirée, celle qui fait vibrer et entrer dans des états de corps ravivés, quelque peu endormis depuis des mois de « frustration » humaine et artistique non consenties…

Geneviève Charras 

danser canal historique

4 juin 2019

« Amour-S, lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… » de Radhouane El Meddeb
Une des meilleures pièces du chorégraphe, créée aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis.
Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… est le titre d’un poème de Gibran Khalil Gibran, poète et peintre né au Liban, ayant vécu aux Etats-Unis la majeure partie de sa vie, où il inspira, d’ailleurs, les contres-cultures occidentales à l’aube des années 30 du siècle dernier. Chrétien maronite mais féru de culture libano-syrienne, fasciné par le bouddhisme et la réincarnation, écrivant en arabe comme en anglais, son côté inassignable à résidence avait tout pour séduire Radhouane El Meddeb qui n’aime rien tant qu’échapper à tout cadre un peu convenu et même à soi-même, comme en témoigne le titre de son premier solo (Pour en finir avec MOI).
Et cette création a tout autant une dimension échappatoire, que d’approfondissement personnel ou du travail avec ses interprètes. Mais au fond, n’est-ce pas le mouvement même de(S) amour(S) ? Echappatoire, parce que la chorégraphie suit une ligne surprenante, un peu erratique, comme la partition pour piano que joue Nicolas Worms qui en est aussi le compositeur. A la fin, il préfèrera disparaître, une fois ses notes toutes égrénées en nuances légères et en atmosphères évaporées.
Chacun des interprètes a son corpus, un vocabulaire qui fait corps avec lui et qu’il développe lors d’un solo d’une vingtaine de minutes. Mais voilà, il semblerait qu’à chaque fois la logique lui en échappe au fur et à mesure que sa danse se précise et le déborde.
Tout commence avec William Delahaye. Un jeune danseur dont la technique initiale pourrait tout autant provenir de chez Etienne Decroux que du hip-hop, jouant avec brio d’une souplesse sinueuse et de qualités arrêtées nettes. Mais après avoir suivi avec attention ses évolutions, disons de mime acrobatique, on les oublie complètement. On laisse dériver son imagination vers toute autre chose qui pourrait être ce que l’amour me fait, ou une quête de soi, le récit de premiers émois, un souffle qui nous traverse, une avancée vers l’inconnu… Au lieu de le voir déployer une technique ou une autre, il incarne par le geste ses états amoureux avec une délicatesse et une pudeur inouïe et entraîne dans son sillage nos propres sensations.
Deuxième temps avec Chloé Zamboni. Une gestuelle puissante, un brin désordonnée, ou sauvage, comme on préférera, et néanmoins une certaine répétitivité dans sa séquence. Mais bientôt l’ondulation mélodique soutenue et reprise, voit surgir une phrase moins articulée qu’émanante de tout son corps, soulevée, comme d’un hardi coup de rein. Est-ce la passion qui l’embrase et empreint le solo d’une franche sensualité, d’une accentuation vigoureuse, d’une inquiétude tue ? Son acharnement fugitif et terriblement sensible semble laisser fuir quelque secret, saisissant et magnifique.
Enfin, Philippe Lebhar est le troisième larron qui tourne en rond comme pour chercher l’ivresse. Mais ses tours incessants distillent une joie tout enfantine, pulsionnelle, heureuse. Il est ravissement à lui même, flottement, liberté, et son rire nous rappelle la fin de la précédente pièce d’El Meddeb : Face à la mer pour que les larmes deviennent des éclats de rire.
Portraits remarquables de ces trois interprètes, Amour-S, lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… a quelque chose d’une confession intime, un moment d’intense vérité qui traverse avec force l’œuvre chorégraphique de Radhouane El Meddeb. Avec ses lumières et ses circonvolutions, c’est une autre façon de s’adresser au monde, dans sa dimension collective, ou d’inconscient collectif, autrement que par la mise en scène de ses rapports. Ici, il s’agit de creuser en soi-même pour être différemment au monde… Face à l’amour pour que les larmes deviennent des éclats de rire ?

Agnès Izrine

genevieve-charras.blogspot.fr

24 avril 2019

Habitué des scènes de Strasbourg, Radhouane El Meddeb revient en résidence à POLE-SUD pour sa prochaine création. C’est à partir d’un poème de Khalil Gibran issu du recueil Le Prophète, qu’il s’investit dans cette nouvelle pièce : un hymne à l’amour interprété par trois danseurs et un pianiste. « Qu’est-ce qu’un corps amoureux et comment aime-t-on aujourd’hui? » se demande le chorégraphe. Exercice tant charnel que spirituel qu’il développe dans un questionnement partagé avec la jeunesse actuelle.

TRAVAUX PUBLICS : ME 24 AVR – 19:00 – POLE-SUD

Au cœur du studio de Pôle Sud, un piano droit et un soliste, Nicolas Worms, interprète et compositeur.
Un jeune homme apparaît, seul dans une danse votive, lente, le dos tourné se déploie délicatement, en douceur. Cou, épaules engagés,enroulés, à pas feutrés…En une énergie retenue, onctueuse, sensible comme une caresse émise le long de son corps. Contraint, prude, modeste, timide, comme empêché, un appel de ses doigts pour y remédier.Oscillant vers l’arrière, les pieds rivés au sol, hésitant, pudique, recroquevillé: son envergure d’oiseau entravé, gêné, courbé, ramassant, recueillant des saveurs et parfums sensuels.
Comme dans un souffle, se jouant de nos imaginaires. Le silence s’empare du plateau après des instants musicaux d’exception, mêlent douceur et lyrisme, sensibilité et inspiration.
Avec un grand respect de soi, une délicate attention, le danseur, homme épris d’amour courtois ou dévoué, les mains en appui sur son ventre, son cœur, est pris de soubresauts légers, compulsifs, de hoquettements , après s’être ouvert, plexus offert, bras largement tendus. De dos, les mains agrippées à son buste racontent l’enlacement, l’accolade, l’étreinte.Plein feux soudain sur la scène pour un beau renversé extatique. Un duo amoureux avec lui-même très lumineux. Les notes de musique reprennent ce relais magnétique, accompagnant, épousant le corps en mouvement plein d’écho et de rémanence musicaux. Oser aller de l’avant, entre raideur don ou repli, recul en offertoire mystique, aspiré par l’arrière, le corps du danseur est habité, les bras en corbeille, généreux, le pas à pas décomposé à la Muybridge ou Marey: une légère élévation sur demie-pointe qui se pose en suspension, et c’est le miracle de l’Inouï, de l’indicible …
Les yeux clos, en prière, les gestes enroulés en spirale: albatros maladroit ou attiré par des fils invisibles, l’homme est en proie au sublime du geste, de l’amour intérieur, de soi, de l’autre, absent.
Tout frémit jusqu’aux plis de son pantalon; furtif et confidentiel, il est danseur, en relâchés fugitifs, rétractés en contrepoint. Les poignets se lovent en quête de grâce.
Il semble s’évader, se dissoudre dans le flux et le reflux des gouttes de piano qui s’égrènent sans fin, qui murmure, fluide, ondes qui vont et viennent incessantes. En ressacs.
Mélancolie, nostalgie?Cette immobilité ancrée, le regard perdu au loin, romantique, explorateur engagé dans l’espace et le temps de l’expérience chorégraphique. William Delahaye, remarquable interprète de ses désirs er ressentis, partagés par le public, proche, impliqué dans la lumière, en empathie avec son vécu, troublant.
Une brusque tétanie, entrecoupée de lassitude pour surprendre en contraste saisissant. Le buste envahi, submergé de soulèvements, comme une pixilation segmentée.
Luttant dans l’espace contre des masses d’air, d’éther planant dans une perte de contrôle feinte. Toujours sur place dans des hachures, coups de machette ou décalage-décadrages surprenants
Puis dans des gestes d’offertoire, d’évidence, de clarté, calme serein, il s’efface, quitte la scène après ce passage d’épreuves franchies.
Un hymne à l’amour véritable tableau vivant de l’indescriptible désir d’attirer, de prendre et partager.
Une femme apparaît, ô surprise après ce solo si limpide
En secousses désordonnées, animée de gestes incontrôlés, les cheveux en crinière , en écho de rémanence visuelle, prolongeant l’énergie de toute sa peau. Axe et centre imperturbables, habitée par une folie décente; des ondes la traversent, en secousses dans une danse instinctive, transe, envoûtement magnétique. En torsions fulgurantes, échappées fugaces, éperdues, animée d’une énergie contagieuse, elle danse. L’osmose avec le pianiste se faisant écho de plus belle. Une empathie réelle, une entente et écoute simultanée de toute beauté!
Elle reprend sa danse, plus rageuse, échevelée, haletante en de courts inspirations organiques, sensuelles. Fendre l’air, arque-boutée, éprise et offerte dans une transfiguration, métamorphose sidérante de son corps, transporté par l’amour. L’agitation fébrile et tressaillante de tout son corps engagé dans une maturité impressionnante. Extase et béatitude donnant toute sa dimension spirituelle à la danse, espace temps métaphysique évident. Tout s’étire et s’adoucit au final au rythme calme du piano dormant. Sirène ondulante, perdant pieds sans sa queue naturelle, créature hybride, elle chute et se rend à la terre inhospitalière Chloé Zomboni au zénith d’un amour inouï .La rencontre entre les deux êtres d’amour ne se fera pas, évident épilogue d’une narration des corps …

Radhouane El Meddeb, présent ce soir là nous livre ensuite quelques pistes et « secrets de fabrication » sur la genèse du projet, quasiment bouclé après son aventure avec « Le Lac des Cygnes », comme une suite logique à cette « bataille » de taille avec « pointes et chaussons », passe-muraille entre deux univers: de la compagnie au solo, juste un pas de deux pour liaison.
Trouver cet état de corps amoureux, ces fragments d’histoires, ce « murmure du geste ou du mouvement » dans une lumière qui interroge et implique la présence du spectateur.
Une délicatesse fragile, une ombre unique sur un futur tapis blanc comme prolongement à venir encore…
Pour évoquer l’absent, l’attente, le manque, la perte et l’invisible. Comme une adresse, une incarnation juste et sincère, pour nous transformer aussi au passage dans une épure pleine dans l’instant du va et vient constant entre interprètes, public, pianiste et chorégraphe.
Une qu^te, une expérience singulière, « témoignage » pour que jouent l’identification et la catharsis: se relier avec le public, toujours.
Ce soir là l’échange est fécond et plein de sensibilité et d’intelligence, chacun ayant trouvé comme dans un palimpseste les strates de sa propre construction et de ses fondamentaux
Plus qu’une ébauche, l’oeuvre ici se livre et se délivre comme une pièce mature, portée par des interprètes au plus proche de leur identité d’artiste , transfigurés par l’écriture complice et complexe de Radhouane El Meddeb, en mutation permanente tel un homme en marche qui ne se retourne pas!
Quand musique et danse se rencontrent pour vivre elles aussi un destin croisé, dessiné en silhouettes et mouvements comme un graphisme musical très inspiré.

Geneviève Charras

La Terrasse

19 avril 2019

Après le succès de Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire et de son Lac des Cygnes, Radhouane El Meddeb revient à une forme plus intime et rend hommage avec Amour-s à la poésie de Khalil Gibran.

« Amour-s m’a été inspiré par Khalil Gibran. J’aime beaucoup ce poète libanais, chrétien, qui a vécu en exil. C’est un artiste peu connu en France, mais phare dans l’histoire de la poésie du monde arabe. Il a écrit des œuvres très importantes, simples mais profondes. Dans son livre Le prophète, il trace l’histoire d’un homme à la quête du bonheur, de l’extase, de la bonté, sans être en rien moralisateur. Lorsque l’amour vous fait signe est une des parties de cet ouvrage, un des chemins traversés par cette quête. Ce poème et son auteur ont été les déclencheurs de ma nouvelle création. Comme le « s » de son titre l’indique, elle ne traite pas que de l’Eros mais de quelque chose de beaucoup plus grand. C’est une histoire d’états, de parcours de vie liés à l’amour, cette chose qui nous prend et qui, lorsqu’elle est là, devient une étape importante, originelle, qui va faire de nous l’être que nous sommes. C’est un chemin, on ne sait pas où il nous mène mais il est pluriel, généreux, ouvert à tous. Je pense qu’aujourd’hui nous manquons de cela dans tout, dans le rapport que nous avons les uns aux autres, au monde, à nous-mêmes.
Des cheminements intimes
Pour cette pièce j’ai eu envie de revenir à un petit groupe. L’expérience du quatuor d’Au temps où les arabes dansaient… m’avait bouleversé par la force qu’on peut acquérir avec très peu, avec seulement quatre interprètes qui prennent la parole par le corps. Pour Amour-s, j’ai eu envie d’aller encore plus loin dans l’intimité, de parler doucement, de murmurer. Cette pièce pour trois danseurs et un pianiste, puisque le compositeur est lui aussi sur scène, est faite de témoignages. Nous nous adressons au public pour l’embarquer dans des histoires qui disent ce qu’est une initiation à l’amour, à l’exaltation. Ces trois êtres pleins d’émotion, de sensibilité, ne se rencontrent jamais. Il n’y a pas de duo, de trio. Ce sont des moments presque secrets où l’interprète a un parcours d’amour, des instants où il échappe au monde et flotte. Dans cette quête originelle, les danseurs apparaissent on ne sait comment et disparaissent on ne sait pourquoi. Le pianiste, qui lui est toujours présent, n’est pas là pour les accompagner. Il évolue dans son histoire, dans un rapport étroit à sa musique et à son instrument. »

Propos recueillis par Delphine Baffour